Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

gilets jaunes - Page 16

  • Qui a dit guerre civile ?... (1)

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré à l'ambiance de guerre civile qui se développe en France au travers des discours des protagonistes de la crise des Gilets jaunes... Spécialiste de la guerre de l'information, François Bernard Huyghe, auteur de nombreux livres, a récemment publié La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018).

     

    Gilets jaunes_guerre civile.jpg

    Qui a dit guerre civile ? (1) - Les mots qui engagent

    Ce n’est pas la guerre civile, mais c’est déjà un vocabulaire de guerre civile. Quand Benjamin Griveaux fustige les agitateurs et parle des personnes les plus radicalisées (1) contre qui il réclame « la loi, toute la loi, rien que la loi ». Quand il dénonce le gens qui restent mobilisés, comme « des agitateur qui veulent l’insurrection ». Quand il les décrit « dans un combat contre la légitimité du gouvernement et du président de la République». Quand il dit qu’Éric Drouet qui organise une manifestation sans déclaration préalable « n’est pas au dessus des lois »…

    Quand Christophe Castaner (qui, par ailleurs se félicite que tout soit bien passé dans la nuit de la saint-Sylvestre, avec seulement un millier de voitures brûlées, mais pas par les Gilets jaunes, donc avec zéro arrestation) pointe les « séditieux » (un mot qui a un sens plutôt fort depuis le code pénal de 1810). Quand il demande plus de fermeté aux préfets et suggère que les policiers sont un peu mous de la matraque et hésitants du flashball. Quand Mounir Mahjoubi parle des puissances étrangères « qui ont la volonté d’influencer les démocraties occidentales pour les déstabiliser ».

    Et bien sûr, quand le président de la République parle des porte-voix d’une « foule haineuse », quand, se réclamant des générations qui nous ont précédé et se sont battues pour ne subir ni le despotisme, ni aucune tyrannie (Jean Moulin réveille toi, Drouet et entré dans Paris !) il parle de négation de la France et d’ordre républicain qu’il faudra sauver sans complaisance (il n’a pourtant pas manqué de blessés et de mis en examen, de l’avis même de policiers qui demandent ironiquement s’ils doivent tirer pour être enfin un peu virils, que diable!)…

    Quand tout cela s’accumule sur fond de peur de la peste brune, violente, homophobe et poutinophile, trop bête pour comprendre les bienfaits du pacte de Marrakech (qui par ailleurs ne contient rien de contraignant, braves gens.)…

    Quand de commentateurs de télévision qui se sont illustrés par une certaine vigueur en 68 ou avec la Ligue Communiste de Krivine (dissoute après une nuit d’émeutes et une centaine de blessés parmi les forces de l’ordre) hurlent à la subversion. Quand ils découvrent dans un éclair de génie le mécanisme provocation, répression, solidarité, escalade, front de classe. Quand des prophètes qui écrivaient « Vers la guerre civile »(1969) poussent des cris de paroissiennes à l’idée qu’il y ait des manifestations non autorisées ou que d’horribles prolos refusent d’obéir aux appels à se disperser de nos sympathiques Compagnies Républicaines de Sécurité..

    Quand, dans le camp d’en face quelques isolés (mais qui, eux, n’ont été élus par personne et n’ont aucune responsabilité de défendre les règles républicaines) parlent d’entrer dans l’Élysée, se réclament de l’exemple de Maïdan ou du printemps arabe (qui furent pourtant admirés en leur temps par nos maîtres penseurs et moralisateurs)…
    Quand on parle de gens prêts à mourir comme sur une vidéo qui circule en ce moment. Quand les rodomontades sur le calibre 12 au fond du placard que l’on pourrait aller chercher un jour ne font plus rire.

    Oui, alors là, il est permis de parler d’ambiance et de gueule d’atmosphère.

    Mais au fait qu’est-ce que la guerre civile ? Le moment où une fraction de la population se dresse contre une autre (et/ou contre l’appareil d’État qui protège la seconde) et la tient pour ennemie. D’où il découle généralement le recours aux armes, l’organisation en fractions opposées luttant pour le contrôle du territoire et l’existence des institutions. Il y a l’affrontement physique et jusqu’à soumission ou disparition de la partie adverse de deux visions de l’organisation des pouvoirs. Dans la guerre civile, chacun choisit son camp, et, parfois, déclare comme ennemi celui qui, la veille, était son concitoyen.

    Les Grecs avaient un mot pour cela, ils parlaient de la Stasis, crise à la fois politique, morale et sociale, nous dirions aujourd’hui idéologique, qui dresse citoyen contre citoyen, et non soldat de la Cité contre soldat étranger (même si, bien entendu, l’intervention étrangère ne date pas d’hier).

    Nous ne résistons pas à une citation de Montherlant :

    Je suis la guerre civile. Et j’en ai marre de voir ces andouilles se regarder en vis-à-vis sur deux lignes; comme s’il s’agissait de leurs sottes guerres nationales. Je ne suis pas la guerre des fourrés et de champs. Je suis la guerre du forum farouche, la guerre des prisons et des rues, la guerre du voisin contre le voisin, celle du rival contre le rival, celle de l’ami contre l’ami .

    Bien sûr, nous n’en sommes pas là, les dix morts Gilets jaunes ou assimilés l’ont été par accident, personne ne tire sur personne. Et si j’avais le malheur de crimpenser cela, je me ferais rattraper par la patrouille des valeurs qui nous unissent.
    Bien sûr. Mais si la guerre n’est pas encore civile et dans les rues, quelle sorte de guerre y a-t-il dans les têtes ?

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 5 janvier 2019)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Feu sur la désinformation... (216)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours de Nicolas Faure.

    Au sommaire :

    • 1 : Les Gilets Jaunes ripostent contre les médias !
      Face au parti-pris médiatique et à l’absence de pluralité d’opinion, les Gilets Jaunes ont décidé de passer à l’offensive contre les médias.
    • 2 : Le Zapping d’I-Média 
      Alors que l’immigration massive – illustrée par ces Africains sortant d’un matelas – continue à battre son plein, Aurélien Taché, député LREM proche de Macron, explique que les élections européennes seront un référendum à ce sujet.
      Pendant ce temps, Eric Drouet – l’une des figures des Gilets Jaunes – a été arrêtée à Paris.

    • 3: Les banlieues en flamme, les médias voient flou
      Comme chaque année à la Saint-Sylvestre, des centaines de véhicules sont incendiés. Un phénomène largement minorée par des médias qui ont peur de stigmatiser la population immigrée.
    • 4 : Les tweets de la semaine
      Deux bonnes nouvelles notamment. En Italie, les aides à la presse seront progressivement supprimées ! En France, le courageux Marin a été décoré de la Légion d’Honneur.

    • 5 : Des vœux présidentiels, dévoués journalistes
      Si une large majorité de Français n’a pas été satisfaite par les vœux d’Emmanuel Macron, ce dernier peut compter sur le soutien de plusieurs journalistes.

     

                                           

    Lien permanent Catégories : Décryptage, Manipulation et influence, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Les Gilets Jaunes, une page d'histoire française...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Baquiast, cueilli sur le site Europe solidaire et consacré à la révolte des Gilets jaunes. Jean-Paul Baquiast anime également le site d'information techno-scientifique Automates intelligents.

    delacroix-gilet-jaune.jpg

    Les Gilets Jaunes. Une page d'histoire française

    En France, les Pouvoirs, pouvoirs publics et média, présentent le mouvement des Gilets Jaunes (GJ) comme la protestation d'un certain nombre de représentants des classes moyennes « modestes » - selon l'expression ayant cours désormais.

    Ceux ci, selon le discours gouvernement actuel, ont vu leurs revenus diminués par la hausse de certaines taxes, la baisse des prestations sociales au nom d'économies nécessaires et l'extension du sous-emploi imposé par la numérisation de la société. Il suffirait qu'Emmanuel Macron revienne sur certaines des mesures de rigueur que son gouvernement avait prises pour que tout rentre dans l'ordre.

    Cela ne semble pas être le cas à la fin de l'année 2018. Le nombre des GJ manifestant actuellement aurait sensiblement baissé, si l'on en croit des statistiques officielles. Les statisticiens n'ignorent pas cependant que celles-ci sont plus au service de la politique gouvernementale que de la vérité. Il est donc légitime de penser que ce nombre est resté stable, même si les manifestations se sont davantage dispersées, ce qui rend les comptages plus difficiles. L'avenir dira ce qu'il en sera. Mais on peut douter que le mouvement s'éteigne.

    Ceci n'aurait rien d'étonnant si l'on admettait que les GJ n'expriment pas seulement des revendications catégorielles, mais traduisent l'étendue de la crise multiforme qui avait affecté la France depuis plusieurs années, sinon plusieurs décennies, et que les Pouvoirs se refusent à voir. Ils s'y refusent parce que l'oligarchie qui gouverne la France dans le cadre des institutions politiques, ne veut absolument pas reconnaître que dans les décennies précédentes, la structure industrielle et scientifique était tirée par des grands programmes nationaux, par l'Espace, le Ferroviaire de haut niveau, l'énergie nucléaire, les industries de Défense.

    Un pays volontairement désindustrialisé

    La vague de libéralisation, le désengagement de l'État imposé par des majorités dites libérales, la concurrence acceptée, notamment au niveau européen, en provenance de pays soumis directement au capitalisme financier américain, ont fait progressivement disparaître cette base industrielle et de recherche. Ceci se constate par le déclin des études scientifiques, jusqu'à la disparition de l'enseignement obligatoire des mathématiques.

    Face à l'expansion apparemment sans limites des technologies de la communication et de l'information, qui se traduit par le phénomène désormais bien connu des GAFAS américaines et de leur pouvoir sans aucune restriction étatique, la France se montre incapable de lutter, essentiellement parce que ces GAFAS ne supportent pratiquement aucun impôt sur un chiffre d'affaires en France de plus en plus important. La conception des logiciels demeure encore active, mais comme il s'agit souvent de produits francophones, leur marché est de plus en plus réduit face à l'explosion des logiciels anglophones.

    Le pays est donc désindustrialisé, privatisé, et victime de chômage. Ceci n'empêche pas l'Union européenne de continuer à exiger de plus en plus de privatisation, de désindustrialisation et de restriction budgétaire au prétexte de lutte contre un déficit qui dans les pays non-européens n'est que la contrepartie momentanée des investissements productifs.

    Inutile d'ajouter que les extrêmement petites minorités constituant en France l'oligarchie disposent de toute tolérance administrative pour frauder l'impôt ou s'y évader dans les paradis fiscaux.

    Un régime ploutocratique

    La réalité du pouvoir en France n'est plus celui d'un pouvoir démocratique, mais d'un pouvoir ploutocratique (le pouvoir par les riches et les puissants), les médias étant là pour dissimuler le phénomène en distrayant l'opinion par une attention exclusive au mode de vie luxueux des « élites » oligarchiques, hommes et femmes.

    Personne ne fait valoir qu'en Russie et surtout en Chine, pays eux-aussi soumis aux exigences de l'économie numérique, des gouvernements décidés à intervenir pour mobiliser les ressources nationales le font avec de plus en plus de succès. Mais ils sont discrédités aux yeux des travailleurs français et surtout de ce qu'ils ont conservé de syndicats, comme des dictatures militaires ou policières.

    Depuis des années, le mécontentement populaire se fait entendre dans la rue, sans être écouté. Les grandes manifestation contre la loi El Khomri, puis contre l'abolition du droit du travail et du droit à la retraite, ont été massives, importantes, suivies. Mais aucune n'a eu de conséquences, que ce soit sous Chirac, Hollande et aujourd'hui Macron.

    Toutes les offensives contre le peuple rappelées ci-dessus sont comprises par les militants les plus conscients des GJ. L'oligarchie leur répète qu'aucune autre solution que les siennes ne sont possibles. Par un triomphe de la conscience collective, qui reste à expliquer en termes sociologiques, sans se concerter, sans chefs, ils ont réussi à effrayer l'oligarchie. Les politiques aux ordres ne savent que faire, sauf envoyer la police pour bloquer les manifestations et susciter des casseurs étrangement tolérés pour déconsidérer le mouvement des G.J.

    Les Gilets Jaunes et la fluidité

    Face aux répressions quasi-militaires, les interpellations et incarcérations de plus en plus nombreuses, que rien ne devrait justifier, les GJ ont suivi la bonne stratégie, la fluidité. Fluidité du mouvement lui-même, fluidité des actions, fluidité des déplacements, fluidité des revendications, fluidité de la pensée. Face à cette fluidité, le gouvernement, le système, l'oligarchie, semblent figés dans le monde d'avant.

    Les GJ sont une fierté pour la démocratie, redonnent confiance en l'humanité et au peuple français qui a toujours su dans l'histoire des derniers siècles se révolter contre des pouvoirs exorbitants, tolérés passivement ailleurs. Leur exemple commence à s'étendre, en Europe et ailleurs, y compris semble-t-il aux Etats-Unis. Peut-être dira-t-on qu'ils sont en train d'écrire une page d'histoire.

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 24 décembre 2018)

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Feu sur la désinformation... (215)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours de Nicolas Faure.

    Au sommaire :

    • 1 : Les médias veulent siffler la fin de la partie
      Mobilisation en baisse, violence et même accusations d’antisémitisme… Tous les moyens semblent bons pour tenter d’endiguer la révolte populaire des Gilets Jaunes !
    • 2 : Le Zapping d’I-Média 
      Macron se maquille les mains mais n’hésite pas à les exhiber au Tchad. Pendant ce temps, les Gilets Jaunes continuent de se révolter, allant jusqu’à rester sur leur rond-point pour Noël !

    • 3: Menu de fête pour les médias : intox sur lit de propagande
      Période de fête oblige, les médias ont décidé de nous repasser quelques films cultes… revisités !
      Au programme : Un métro nommé délire, grand classique, et L’Expert (avec Sylvain Boulouque à la place de Stallone).
      En plus, ils nous ont offert un drôle de spectacle son et lumières avec des policiers voltigeurs n’hésitant pas à allumer eux-mêmes les feux d’artifices.
    • 4 : Les tweets de la semaine
      Alors que LVMH verse 80 millions d’euros au Parisien pour éponger des dettes abyssales, la jeune Fiorina a reçu 50 000 € de la part de milliers d’internautes. Chacun sa solidarité !

    • 5 : Journaliste primé, articles truqués
      En Allemagne, c’est un énorme scandale médiatique. L’un des jeunes journalistes les plus récompensés avait falsifié de nombreux articles !

                                                  

    Lien permanent Catégories : Décryptage, Manipulation et influence, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Les gilets jaunes vus depuis le pays d’en bas...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Claude Michéa, publié par le quotidien Sud-Ouest et consacré à la révolte des Gilets jaunes. Philosophe, Jean-Claude Michéa est l'auteur de plusieurs essais fondamentaux consacré à la critique du libéralisme. Il vient de publier Le loup dans la bergerie (Flammarion, 2018).

     

    gilets-jaunes-narbonne.jpg

    Les gilets jaunes vus depuis le pays d’en bas

    Si j’ai choisi de vivre, depuis maintenant plus de deux ans, dans un petit village des Landes – à 10 kilomètres du premier commerce, du premier café et du premier médecin (26% des communes françaises, mondialisation oblige, sont déjà dans ce cas), c’est bien sûr d’abord parce que le mode de vie hors-sol, standardisé et « festif » de Montpellier m’était devenu insupportable.

    Et sans doute aussi parce que j’étais assez « réactionnaire », ou assez épicurien, pour oser encore croire qu’une tomate cultivée sur place et sans manipulation chimique aurait forcément un tout autre goût que son ersatz industriel importé de Chine ou d’Australie par containers géants (lesquels, au passage, utilisent un fioul nettement plus polluant – quoique non taxé ! – que celui des voitures diesel).

    La colère généreuse des gilets jaunes

    Bien entendu, un tel changement d’univers a aussi un aspect politique. D’une part, parce qu’il correspond habituellement à une volonté d’introduire un peu plus de cohérence dans sa vie personnelle (je ne voulais pas ressembler à ces intellectuels de gauche qui célèbrent sans cesse la « mixité sociale » tout en se gardant bien d’habiter dans les quartiers les plus « sensibles » !). Et de l’autre, parce que le fait de vivre au cœur d’une région rurale m’offrait l’occasion de vérifier par moi-même à quel point la description de la France « périphérique » par Christophe Guilluy – description pourtant longtemps moquée par toute la « sociologie » mandarinale – collait au millimètre près à la réalité que j’avais sous les yeux. Et de fait, il suffit de partager la vie de ces petits paysans, artisans, éleveurs ou retraités pour lesquels – malgré leur sens aigu de l’entraide – chaque fin de mois est devenue un casse-tête insoluble, dans une région aux paysages sauvages et magnifiques mais où presque tous les transports en commun et services de proximité (pour ne rien dire des problèmes de couverture téléphonique) ont été méthodiquement sacrifiés sur l’autel des dogmes libéraux, pour que la colère généreuse des gilets jaunes – l’expression est d’Orwell – prenne aussitôt tout son sens !

    « Ceux d’en haut » et « ceux d’en bas »

    A quoi, en effet, assistons-nous aujourd’hui sinon au retour, sous une forme inédite, de cette « question sociale » (autrement dit, de ce conflit d’intérêt qui oppose toujours, même de façon latente, « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas ») qui, il y a peu, figurait encore au centre de toute critique socialiste ? Or c’est justement cette question sociale, et avec elle, l’idée même de « lutte des classes », que la gauche européenne – depuis sa conversion massive, au début des années 1980, au libéralisme économique, politique et culturel – tente par tous les moyens de noyer sous le flot continu de ses fameuses « questions sociétales ». De nos jours, « être de gauche » ne signifie plus, en effet, combattre un système économique et social injuste fondé sur l’accumulation sans fin du capital. C’est, au contraire, chercher à substituer à ce combat l’unique croisade libérale « contre toutes les discriminations » – de la défense de l’écriture « inclusive » au rejet de l’alimentation carnée, en passant par l’interdiction de la fessée. Il est donc clair que la gauche est aujourd’hui devenue une force objectivement contre-révolutionnaire. Et il ne faut donc pas s’étonner si le fossé qui la sépare des classes populaires – et par conséquent de cette France périphérique où vivent la majorité des Français – ne cesse de s’agrandir (songeons, par exemple, à l’état d’hébétude dans lequel l’apparition du mouvement des gilets jaunes a plongé toute l’intelligentsia de gauche (1)).

    Situation encore aggravée par le fait que cette nouvelle gauche trouve désormais son centre de gravité électoral dans ces classes moyennes urbaines, surdiplômées et hyper-mobiles, qui non seulement ne représentent que 10 à 20% de la population mais sont aussi massivement protégées contre les effets de la mondialisation – quand encore elles n’en profitent pas. C’est d’ailleurs sans doute la raison pour laquelle mon appel récurrent à réhabiliter la critique socialiste dérange autant les mandarin(e)s de gauche. Comme le soulignait en effet le grand socialiste américain Upton Sinclair, il est très « difficile d’amener quelqu’un à comprendre une chose quand son salaire dépend précisément du fait qu’il ne la comprend pas » !

    Le retour de ce peuple théoriquement « disparu »

    Or, le premier mérite des gilets jaunes, c’est justement d’avoir fait voler en éclats le mythe fondateur de la « sociologie » de gauche selon lequel le concept de « peuple » n’aurait plus, de nos jours, aucun sens politique, sauf à s’appliquer au seul univers des « banlieues ».

    Car c’est bien, en effet, ce peuple théoriquement « disparu » qui non seulement fait aujourd’hui son retour en force sur la scène de l’Histoire, mais qui a même déjà obtenu – grâce à son sens politique exceptionnel et son inventivité rafraîchissante – plus de résultats concrets en quelques semaines que toutes les bureaucraties syndicales et d’extrême gauche en trente ans. Il fallait donc toute la cécité de classe des « écologistes » bourgeois pour ne pas avoir vu d’emblée que sous la question ponctuelle du prix de l’essence perçait déjà – pour reprendre les mots du remarquable Appel de Commercy – « un mouvement généralisé contre le système » et, au premier chef, contre cette confiscation croissante du pouvoir des citoyens par des politiciens de métier et des juges non élus. D’autant qu’il n’était vraiment pas difficile de comprendre – sauf à vivre, tels un BHL ou un Romain Goupil, sur une autre planète – que la revendication initiale des gilets jaunes relevait beaucoup moins de ce « culte de la bagnole » censé caractériser, aux yeux des élites « éclairées », les « beaufs » de la France périphérique (alors que toutes les études statistiques montrent au contraire que ce sont précisément les riches qui polluent le plus!) que d’une révolte morale spontanée contre un système économique aussi absurde qu’injuste qui – afin que les riches deviennent toujours plus riches – doit sans cesse obliger les Français les plus modestes à parcourir toujours plus de kilomètres pour pouvoir travailler, consulter un médecin, poster une lettre, faire leurs courses ou encore trouver une école, une maternité ou un centre administratif (c’est même une des raisons pour lesquelles les gilets jaunes ont si vite redécouvert les vertus de la démocratie directe et de l’autonomie locale). Quel que soit donc le sort qui attend, à court-terme, ce mouvement révolutionnaire (…) il est d’ores et déjà certain que la colère du peuple ne retombera plus. Et que, tôt ou tard, les « princes qui nous gouvernent » auront à en payer le prix.

    Jean-Claude Michéa (Sud-Ouest, 18 décembre 2018)

     

    Note : 
    1) Il est difficile de ne pas songer ici au célèbre ouvrage de Paul Lidsky, Les écrivains contre la Commune, publié par Maspero en 1970. Dans cet essai décapant, l’auteur rappelait comment les principaux écrivains de gauche de l’époque – mettant de côté, pour un temps, leurs griefs habituels contre la bourgeoisie et le « vieux monde » – avaient, dans leur immense majorité, applaudi la répression de la Commune de Paris (ordonnée, il est vrai, par Adolphe Thiers et Jules Favre – deux des plus grandes figures de la gauche libérale d’alors). C’est que l’appel de cette dernière à instaurer une véritable république sociale avait donné d’un coup une tout autre signification au vieux concept libéral et républicain d’égalité. De quoi confirmer, en somme, la célèbre analyse de Marx selon laquelle, s’il existe toujours « une certaine opposition et une certaine hostilité » entre la bourgeoisie économique de droite (celle qui participe directement au processus d’accumulation du capital ») et la bourgeoisie culturelle de gauche (les universitaires, écrivains ou artistes qui « tirent leur subsistance principale de l’illusion que cette classe se fait sur elle-même »), c’est une opposition et une hostilité condamnées à tomber d’elles-mêmes « chaque fois que survient un conflit pratique où la classe tout entière est menacée ». 

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • A propos des Gilets jaunes...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à l'United World International, un centre de réflexion indépendant favorable à la souveraineté des nations, à propos de la révolte des Gilets jaunes. Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Décroissance ou toujours plus ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2018).

     

                                

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!